dimanche 8 mars 2015

Bonjour,

aujourd'hui, c'est la journée internationale de la femme et cette occasion, je vais vous faire partager, trois contes au sujet des femmes de Jacques Salomé.

Le premier et le troisième sont extraits du livre " Contes à aimer, Contes à s'aimer " et le deuxième de " contes à guérir, contes à grandir ".


Bonne lecture !   


1- Le conte de la femme en marche vers sa propre vie.  

 Il était une fois une femme qui, après avoir traversé toute une vie de femme, habitée par différents amours, puis par une relation essentielle avec un homme qui fut son mari, après avoir porté et élevé des enfants et exercé une profession passionnante, se retrouva au bord de l’existence, devant l’immense vide de sa solitude, celle de sa rencontre manquée avec elle-même.

Comment est-ce possible ? Comment se retrouver ainsi en solitude au mitan de sa vie, vide de projets, dévitalisée d’avoir trop donné, dépossédée de tous ses rêves car ils avaient été déposés en vain et à fonds perdus chez ceux qu’elle avait tant aimés ?
Comment continuer le chemin en se sentant habitée par une immense fatigue d’être, une profonde lassitude à simplement se réveiller le matin, à ouvrir les yeux, à respirer, se laver, s’habiller, affronter le regard aveugle de tant d’inconnus ? Comment avoir l’énergie d’esquisser des gestes qui n’ont plus de sens, de commencer quelques phrases avortées en imaginant tout de suite que demain est déjà périmé ?
Cela est plus fréquent qu’on ne peut l’imaginer dans le monde des femmes et des hommes d’aujourd’hui.
Au début elle manqua de vaciller devant la béance du désert de sa vie, la violence de la solitude, le vide de l’incompréhension qu’elle sentait tout autour d’elle.
Souvent par la suite elle désespéra, quand des pensées malignes infectaient son corps, quand des douleurs tenaillaient son dos, déchiraient son ventre, harcelaient son cœur, quand son mal-être était si fort qu’elle imaginait ne pouvoir tenir debout, qu’elle aspirait à se coucher et mourir de lassitude et de désespoir de vivre.
Elle ne savait pas encore que sa vie n’attendait que ce moment pour se rappeler à elle. Une émotion, qui contenait tout un monde à elle seule, s’éveilla, remonta, chemina par des chemins secrets de sa sensibilité, jusqu’à sa conscience, vint éclore dans ses pensées pour devenir lueur, lumière, soleil avant de se transformer en énergie vivifiante.

Un matin, une petite phrase scintilla dans sa tête, dansa sous ses paupières, fredonna à ses oreilles : « Prends soin de ta vie, prends soin de ta vie, prends soin de ta vie… »

Mais d’autres voix, celles des vieux démons, des habitudes anciennes, vexées de se voir délogées par un courant de vie nouveau, tentèrent de prendre le dessus, de recouvrir la petite phrase par leur propre rengaine.
- Fais attention, en osant t’aventure sur le chemin de tes désirs, en voulant te découvrir toute seule, tu prends le risque de te perdre, de révéler des aspects de toi inacceptables.
-Tes désirs sont trompeurs.
- Tu crois avoir tout, tu n’as rien, tu n’es rien, tu n’as pas été capable de retenir ton mari, de garder tes enfants près de toi, de maintenir ton statut de femme aimée…
- Tu es en transformation, chantait la petite voix du début.
- Tu es affabulation, répétaient les voix d’une ancienne vie.
- Je peux m’aimer et me respecter.
- Pas du tout, tu as besoin d’être aimée, tu ne dois donner ton amour que si tu es aimée en retour!
- Je sens que je peux m’aimer et aimer sans avoir nécessairement un retour… pour le plaisir d’être.
- Non, ton cœur n’est pas suffisamment ouvert pour aimer, simplement aimer. Réfléchis bien, tu sais combien ton égo ne supporte pas de vivre le seul bien-être, le plaisir partagé. Il te faut ses sentiments, des serments, du solide, du durable à toute épreuve…
- Je ne suis ni dans le manque, ni dans le besoin, je suis dans le plein !
- Tu te montes la tête et bientôt tu regretteras, tu verras.
- Je suis musique, je recherche et je trouve mes accords.
- Tout est dérisoire, temps perdu, illusions trompeuses. Ne recommence pas à espérer ce que tu n’atteindras jamais. – J’existe, j’existe enfin pour moi.
- Non, tu survis, tu végètes. Accepte ton sort sans révolte, sans rêve inutile, tu es sur la pente descendante de ta vie, reste tranquille ! Tout est joué, tu as perdu, tu mérites le repos.
- Je me rencontre… J’ai lâché le superflu.
- Tu vas manquer de l’essentiel : la sécurité !

Face à l’impuissance j’apprivoise des forces secrètes, face à l’urgence je fais confiance à mes états intérieurs, face au chaos j’écoute ma propre voix. Je suis sur ce chemin là.

Étonnée, elle n’entendit plus les autres voix, alors elle décida de s’écouter. A partir de ce jour-là, elle ne fut plus seule.
 

Le dialogue qui l’accompagna l’ouvrit à de multiples rencontres.

2- Conte à maigrir debout


Dans ce pays-là, les femmes avaient toutes ou presque toutes le souci d’un corps mince,
ou du moins croyaient-elles en avoir le souci.
Très tôt dans leur vie, on leur avait laissé croire qu’il leur fallait un corps élancé, sans
excédent de formes et de poids.

Dans ce pays-là, les hommes étaient plus sensibles aux corps des femmes qu’à leur
regard, plus touchés par leur forme que par leur écoute et bien plus attirés
par leur présentation que par leur amour.

Cela bien sûr n’existait sur cette planète que dans ce lointain pays-là.
Dans ce pays-là, donc, comme vous le sentez bien, régnait le terrorisme des kilos.
Une guerre à mort sévissait avec violence chez la plupart des femmes, non pas entre elles,
mais à l’intérieur de chacune d’elles.

Guerre sans merci, pour avoir du plus là et là et encore un peu ici. Guerre sans pitié pour
avoir du moins, là surtout et encore un peu moins ici.

Parfois, il arrivait à certaines d’être dépassées par leur propre volume, de se sentir envahies,
dépossédées même, par des kilos en trop, mal répartis.

D’autres encore éprouvaient une véritable haine pour ces kilos trop voyants, du mépris et
du rejet pour ces plis, cette graisse insolente. Il y avait en elles une violence terrible
contre la lourdeur ou la mollesse de leurs fesses, de leur ventre, de leur poitrine.

Le territoire favori de toute cette haine, de toute cette violence, dans ce pays-là,
était les salles de bains, les chambres à coucher, les lieux d’intimité, et bien
sûr la table en était le champ de combat privilégié !


Un jour de printemps, dans ce pays-là, une femme décida d’écouter son corps.

— Je ne veux plus passer ma vie à maigrir debout. Je ne veux plus consommer
le meilleur de mes énergies pour la peur de manger trop ou pas assez.
Je ne veux plus passer des heures vitales à me sentir coupable d’avoir pas assez ou trop,
à me sentir redevable de tout. Je ne veux plus passer l’essentiel de mes jours
à me demander «pourquoi» je matraque mon corps par tous ces excès de nourriture,
de mal-être, dans un sens ou dans l’autre…

Un autre jour, elle entendit un poète énoncer une phrase simple qui l’éveilla :
— J’ai mis longtemps à découvrir que je pouvais soit nourrir ma vie, soit continuer
à la consommer. Je préfère pour ma part la nourrir, ajoutait le poète, en arrêtant de
la consommer.

Cette phrase la poursuivit plusieurs jours encore, avant qu’elle ne se l’attribue et en prolonge
le sens.

— Mais oui, je passe tellement de temps et d’énergie à nourrir mon corps et je ne sais même
pas comment nourrir ma vie !

Elle avait enfin compris qu’il n’était plus nécessaire de nourrir son corps pour survivre,
pour faire le poids. Qu’il n’était plus souhaitable de faire outrage à son corps,
qu’il n’était pas indispensable d’avoir à son égard honte, colère et tristesse.

Qu’elle pouvait croquer sa vie à pleines dents, sans que son corps se sente obligé de faire
contrepoids.

Qu’elle pouvait consommer du bonheur, le bonheur d’être entière et vivante.
Le soir-même, elle invita sa propre Vie à sa table.
— Ma vie je t’invite, ce soir tu es mon invitée d’honneur.
Elle mit sa plus belle nappe, deux assiettes, deux couverts, deux verres, deux bougies
et prépara un excellent repas.

Elle servit l’assiette de sa Vie en premier, délicatement, en choisissant les morceaux, 
en soignant la présentation, puis elle jeta à son habitude la nourriture dans son assiette à elle,
l’assiette de son corps…

Elle prit sa fourchette, piqua, ouvrit la bouche… allait enfourner le tout…
quand elle se ressaisit et mangea en entier, avec plaisir, l’assiette… de sa Vie.


A partir de cette expérience, tout se transforma dans son existence.

Elle sut qu’elle pouvait nourrir sa Vie de mille stimulations, de millions d’inventions,
et cela avec créativité et tendresse. 

Avec une infinitude de petites attentions, de gestes et de regards respectueux
pour le compagnon le plus fidèle de son existence, son propre corps.

Elle découvrit qu’elle savait nourrir ce corps de vie, plutôt que d’angoisses et de chagrins.
Elle inventa même une expression bien à elle :
— Se faire chaque jour plaisir et tendresse à sa Vie. Elle confia à ses amis :
— Je ne pouvais plus continuer à passer ma vie à grossir debout.

Aujourd’hui je vis ma vie sans la consommer, je vis mon existence en lui donnant… vie.




3- Le conte du petit sexe qui était tout triste 

 Vous dire, tout d'abord, que le sexe appartenait au début de sa vie de sexe à une petite fille qui s'appelait Larelmi.
Si surprenant que cela puisse paraître, ce sexe n'avait jamais reçu de marque d'amour et surtout de tendresse. Il n'avait jamais fait l'objet d'une attention tendre, bienveillante. En fait, on s'occupait de lui... seulement quand il n'allait pas bien. Au petit matin, quand sa fente restée collée par les fatigues de la nuit, on le lavait à grande eau, avec du savon, sans trop de précautions ni de douceur.
- Maman, c'est tout collé...
- Ce n'est rien je vais faire ta toilette.
- Maman, ça pique, ça me gratte...
Quand il était irrité ou qu'il avait une petite affection, on le soignait avec une pommade, et quelquefois avec des antibiotiques.
- Ce n'est pas grave, je te badigeonne avec cette pommade, ça va faire du bien.

Un jour, il s'était mis à saigner très fort.

 - Maman, ça saigne, j'ai plein de sang partout...
La mère de la petite fille avait lancé de haut, au-dessus de la tête du petit
sexe :

- C'est normal, tu es une femme maintenant, les ennuis ne font que commencer!

Et puis un jour, dans une rencontre plus intime avec un garçon, une sorte de force brutale l'avait déchiré. Le sexe de la jeune fille qui n'avait pas été préparé, éveillé, s'était senti un peu brutalisé, pas du tout compris.

Par la suite, il avait tenté de s'affirmer, mais le malentendu était installé pour longtemps, entre lui et celle qui le portait.

Ainsi au long des années, ce sexe féminin s'était replié sur lui-même, s'était refermé, anesthésié, endormi. Il avait même tenté de se faire oublier, pensant : "Moins je me manifeste, mieux c'est!"

Et aujourd'hui, porté par une femme au mitan de sa vie, il ne savait plus accueillir, recevoir ou s'enthousiasmer aux caresses, aux baisers, aux stimulations venues du dehors.

En fait, il vivait apeuré, rétréci, tout recroquevillé dans la crainte permanente de se laisser aller, se s'abandonner.
La femme qui le portait aurait bien voulu, elle, s'abandonner, entrer dans le plaisir, lâcher prise, s'ouvrir à la jouissance, mais lui, tel un vaillant petit soldat, résistait. Il avait oublié depuis longtemps contre quoi il se battait. Mais il continuait à le faire. L'incommunication entre elle et lui était bien structurée!
Près de quarante ans que cette guérilla durait. Il semblait n'y avoir aucune issue. Ce petit sexe faisait preuve d'une passivité formidable. Ben sûr, nous qui sommes à l'extérieur, nous savons que cette résistance, cette passivité, avait un sens, qu'il correspondait à un appel, à un besoin de reconnaissance.

Ce que j'ai appris dernièrement, c'est que la femme qui portait ce sexe depuis si longtemps dans son corps décida un jour d'en prendre soin, de s'occuper mieux de lui, de commencer à l'aimer. Jusque là elle avait implicitement confié cette mission aux hommes qu'elle rencontrait sur un plan intime, mais depuis quelque temps elle avait pris la décision de se responsabiliser. Cela va vous étonner, tout ce qu'on peut faire pour son sexe quand on décide de prendre soin de lui!

Elle sortit en ville et acheta une belle rose qu'elle offrit à son sexe. Le lendemain, elle lui fit écouter du Mozart et même du Jean-Sébastien Bach. Elle fut émue, pleura longtemps dans son corps quand elle découvrit que jamais, jamais durant toutes ces années, elle n'avait donné la plus petite marque d'amour à son propre sexe, qu'elle l'avait considéré, sans s'en rendre compte, comme un corps étranger dans son propre corps.

Elle commença par lui apprendre à respirer, puis à rire au creux de son ventre, et bien sûr à ruisseler de l'intérieur comme une source secrète. Elle avait lu quelque part qu'il existait des femmes fontaines, dont la source profonde ne se tarit jamais.

Elle décida de lui donner un nom connu d'elle seule, ce qui lui permit de dialoguer avec lui.
Elle prit aussi un engagement vis-à-vis d'elle même, celui de ne pas s'endormir le soir sans se poser la question: "Quelles marques d'amour, quelles attentions ai-je pu donner aujourd'hui à mon sexe ?"

Et elle prit un autre engagement encore plus important.

Si un jour elle avait une petite fille, elle lui apprendrait à écouter son sexe, à lui parler, à lui faire des petits cadeaux et à le respecter comme quelque chose de précieux et d'essentiel. 

Elle l'inviterait à prendre soin de lui, non pas seulement quand il aurait un ennui ou une difficulté, mais dans une relation suivie de bienveillance et de respect.